« Monsieur le Président du Conseil National de la Transition
Honorables Conseillers,
Mesdames, Messieurs.
C’est avec un sentiment de respect et la pleine conscience de la responsabilité qui est la nôtre quant au présent et à l’avenir de notre pays, que je prends la parole au nom de la Convergence Centriste pour l’Espoir.
Monsieur le Président du CNT, Honorables Conseillers, Mesdames, Messieurs ; depuis la prise du pouvoir par le Comité National du Rassemblement pour le Développement le 5 septembre 2021, les nouvelles autorités ont fait de la refondation de l’Etat le leitmotiv de la transition, sous le leadership du Colonel Mamadi DOUMBOUYA.
Oui, nous sommes conscients que la construction d’un Etat stable est la base incontournable du développement d’une nation. En effet, aucune politique publique ne pourrait produire les résultats escomptés que si elle est appliquée dans un cadre institutionnel sérieux. Tous les pays développés ont en commun le fait d’avoir réussi à bâtir des Etats solides qui fonctionnent. Par contre, d’autres pays en quête d’élan de développement comme la Guinée sont caractérisés par la fragilité de leurs institutions.
Sans doute, la réussite de la transition dans laquelle nous sommes engagés passera par la mobilisation de toutes les composantes de notre société dans un processus sincère, fondé sur le dialogue et la co-construction car, quelle que soit la Constitution adoptée ainsi que les institutions mises en place, tant que la conscience collective ne s’y reconnait pas et que le peuple n’est pas forgé à l’esprit des lois de la République, l’Etat ne pourra pas bien fonctionner. C’est pourquoi, nous participons au Dialogue Inter Guinéen et c’est pourquoi nous sommes-là pour contribuer aux débats d’orientations constitutionnelles.
Nous espérons qu’au bout du compte la transition sera une réussite, l’Etat sera refondé sur des bases solides pour qu’enfin nous ayons un environnement propice au développement pour le bonheur de toutes les filles et de tous les fils de notre chère Guinée.
Monsieur le Président du CNT, Honorables Conseillers, Mesdames, Messieurs ; nos apports aux débats s’articulent autour de 7 points :
– La forme de l’Etat ;
– Les intangibilités constitutionnelles ;
– Les organes judiciaires;
– Le régime politique ;
– Les partis politiques ;
– L’organisation territoriale ;
– L’éducation au civisme, à la citoyenneté et au leadership responsable.

1. La forme de l’Etat
La Guinée a toujours évolué sous la forme d’un Etat unitaire de 1958 à nos jours.
Il s’agit d’un Etat centralisé qui exerce son contrôle à travers les pouvoirs déconcentrés jusque dans les années 90.
Ce modèle avait montré ses limites, d’où le recours à la décentralisation à travers la constitution libérale de 1990. La décentralisation suppose d’avoir des autorités élues avec des domaines de compétences propres, en vue de rapprocher l’administration de l’administré. Un bémol cependant : les pouvoirs élus sont placés sous la tutelle du représentant de l’Etat, en occurrence le préfet. Aujourd’hui ce principe est matérialisé dans le code des collectivités publiques de 2017.
Mais la décentralisation a du mal à s’exercer pleinement dans notre pays. Une des raisons avancées à ce titre est l’absence des ressources au niveau des collectivités locales. Car, l’Etat central, à tort ou à raison, est perçu comme opposer au transfert des ressources en leur faveur.
Si la politique de décentralisation a encore du mal à être effective, il convient de s’interroger sur l’origine du problème : vient-il de la carence du modèle ? de sa non acceptation par les populations concernées ? ou alors du refus des pouvoirs publics d’accompagner sa mise en œuvre ?
A l’évidence on peut penser que le mal se situerait dans le manque de volonté du pouvoir central de rendre la décentralisation effective. Reconnaissons que le mal pourrait venir du détournement à la base des ressources octroyées aux collectivités décentralisées. La raison est donc plus humaine que technique, et c’est sur cette volonté politique qu’il convient d’agir pour rendre la décentralisation effective au bénéfice des populations à travers l’expérimentation d’une véritable démocratie locale.

 

2. Intangibilités constitutionnelles
Deux thèses s’affrontent à ce sujet : la thèse constitutionnaliste et la thèse souverainiste.

• Pour la thèse constitutionnaliste :
Certaines clauses constitutionnelles sont intouchables conformément à la volonté du pouvoir constituant. Parmi ces clauses il y a par exemple la forme républicaine de l’Etat, la durée du mandat présidentiel ou encore les garanties relatives aux droits de la personne. Toutefois, il est à craindre que les intangibilités constitutionnelles ne ferment définitivement la porte aux débats démocratiques utiles sur certains sujets comme la durée du mandat présidentiel ou la forme de l’Etat.

• La thèse souverainiste :
C’est un courant de pensée qui s’affranchit des intangibilités constitutionnelles et fait directement référence à la souveraineté du peuple pour réviser la constitution. La constitution n’étant pas immuable, le peuple devrait avoir le droit ultime de la changer s’il estime ne plus en avoir besoin. Autrement ce n’est pas la constitution qui crée un peuple, c’est le peuple souverain qui crée sa propre constitution.

En Guinée, la crainte de la présidence à vie et du retour à la dictature, expliquent dans une large mesure le choix de la thèse constitutionnaliste. Elle est présente comme une garantie, une soupape de sécurité contre tout recul démocratique.

Ainsi la durée du mandat présidentiel doit être fixée à cinq ans, renouvelable une fois. Pour donner plus de poids à cette thèse, il convient de considérer comme haute trahison toute tentative de sa remise en cause par un président élu. Il faudrait aussi inscrire l’indivisibilité de la République et la laïcité au nombre des intangibilités.

3. Les organes judiciaires
Les tribunaux et cours de chaque ordre (judiciaire et administratif) sont organisés selon une structure pyramidale : une juridiction de première instance, une juridiction d’appel et une juridiction de cassation.
Il faut noter que la juridiction de cassation équivaut au Conseil d’Etat dans l’ordre administratif.
Création d’un ordre administratif : créer à l’image de l’ordre judiciaire un ordre administratif, seul compétent en cas de contentieux administratif
En effet, si, de nos jours, c’est le même juge qui s’occupe à la fois du contentieux judiciaire et du contentieux administratif, avec la création d’un tribunal Administratif en République de Guinée, chaque citoyen pourra désormais saisir ledit tribunal administratif, lorsqu’ un litige l’oppose à l’Administration (Etat, collectivités, Etablissements publics et Organismes chargés de mission de service public).
Dans les textes, le pouvoir judiciaire a toujours été indépendant du pouvoir exécutif.
Les difficultés d’application de cette indépendance résultent :
– De l’octroi de la présidence et de la vice-présidence du Conseil supérieur de la Magistrature (CSM), respectivement au Président de la République et au Ministre de la Justice, deux membres influents du pouvoir exécutif.
– Du cordon ombilical qui relie le Ministère public (le parquet) au garde des Sceaux : il conviendrait de couper le cordon ombilical qui relie le Ministère public (le parquet) au garde des Sceaux ; mieux, faire observer à travers nos textes, un délai de garantie relativement aux déplacements (affectations) de ces magistrats du parquet. Et ce, pour éviter toute affectation inopportune.
En ce qui concerne les attributions d’un Ministre de la Justice, en termes d’injonctions aux fins de poursuites judiciaires
Il faut noter que les injonctions prévues par l’article 37 du Code de procédure pénale n’engendrent en principe aucun problème, c’est l’interprétation des dispositions de cet article qui fait défaut.
En effet, en cas de commission ou de constatation d’infractions, un Ministre de la Justice ne peut prendre des injonctions qu’en cas d’inertie du Ministère publique. Pour y remédier, il faut réécrire l’article 37 ou le développer davantage.
Autrement dit, face à l’inaction du Parquet, le Ministre de la Justice peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, lui enjoindre par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager les poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes.

 

4. Régime politique : pour un régime présidentiel
Le régime politique en vigueur en Guinée est un régime de type présidentialiste. Le président de la République dispose d’importants pouvoirs : il nomme le premier ministre qui lui propose les membres du gouvernement. Il est le chef des armées et engage l’Etat au plan international. Il peut dissoudre l’Assemblée nationale.

Tout en gardant le régime présidentiel, il convient à notre avis de faire ce qui suit :
– le Président désigne le Premier Ministre dont le programme de gouvernement doit être accepté par l’Assemblée Nationale ;
– le Président de la république étant élu par le peuple, doit avoir l’obligation de se présenter au moins une fois par an devant l’Assemblée Nationale pour faire le point sur l’état de l’unité du pays, de la sécurité, de la justice et des relations avec l’extérieur afin de consolider la Nation.

En ce qui concerne le premier ministre, il est le chef de gouvernement et responsable de la politique nationale sur le plan économique sociale et culturel.
Régime parlementaire : parlement à une seule chambre
L’assemblée Nationale qui représente les élus du peuple. Deux chambres couteraient trop cher et nécessiteraient une formation plus accrue.

5. Les partis politiques : maintenir le pluralisme politique
Beaucoup dénoncent le multipartisme intégral dans notre pays. Mais à observer de près, ce n’est pas le multipartisme intégral qui pose réellement problème en Guinée, c’est plutôt le dysfonctionnement dans l’octroi des agréments aux partis politiques et la réticence des administrateurs à suspendre ou retirer les agréments lorsqu’une formation politique ne fonctionne plus selon les règles établies par la loi. Ce qu’il faut, c’est le respect scrupuleux de la loi en matière de création et de fonctionnement des partis politiques.

Force est de noter qu’en Guinée, jamais les partis n’ont fonctionné librement et jamais le terrain politique n’a été rendu aux formations politiques pour mesurer leur véritable poids. Il convient de libérer le terrain politique, de le réguler équitablement et selon les lois en vigueur pour savoir si le multipartisme intégral est un problème ou pas. Pour l’instant, il correspond à la diversité des opinions. Une diversité qu’il faut respecter.

6. L’organisation territoriale
Pour une cohésion dans la politique de décentralisation, il conviendrait de renforcer les collectivités territoriales en faisant élire les membres de toutes les institutions notamment les gouvernorats (pour les régions), les communes, les communes urbaines et rurales qui seront érigées en collectivité territoriales décentralisées ; les préfectures et les sous-préfectures érigées en circonscription territoriale. Le mandat des membres seront de 5 ans renouvelables.
7. L’éducation au civisme, à la citoyenneté et au leadership responsable
L’éducation au civisme, à la citoyenneté et au leadership responsable est fondamentale pour le développement démocratique de la Guinée, la cohésion sociale et la vitalité des institutions. Les populations ne disposent pas de tous les outils et informations nécessaires à l’exercice de leurs droits et devoirs. C’est pourquoi un dispositif dédié à l’éducation et la formation au civisme, à la citoyenneté, aux droits et devoirs est indispensable. Ceci, en mettant au cœur du processus nos langues nationales qu’il convient de promouvoir. C’est en cela d’ailleurs, nous recommandons la mise en place d’une académie des langues nationales en tirant des leçons du passé.
Pour finir Monsieur le Président du CNT, Honorables Conseillers, Mesdames, Messieurs ; je voudrais réaffirmer mon espoir qu’ensemble filles et fils de Guinée feront de cette transition une réussite.
Vive la Guinée. »

M. Lansana Kouyaté

Président du PEDN