Dans un communiqué lu à la télévision nationale le lundi 27 septembre 2021, le CNRD a publié une Charte devant constituer la base juridique de la transition suite à la prise du pouvoir par l’armée le 05 septembre 2021.
A l’apparence d’une Constitution, la Charte de la transition rappelle dans son préambule l’attachement de l’État à toutes les valeurs démocratiques universelles telles que : le respect des droits humains et des libertés fondamentales, la lutte contre la corruption et l’impunité.

En tant que Constitution transitoire, cette Charte contient sans doute des enseignements que l’on peut tirer. Cependant, force est de reconnaitre qu’il y a des inquiétudes à soulever.

I- Les enseignements à tirer

Plusieurs enseignements sont à tirer dans l’examen de cette Charte de la transition :
Dans un premier temps, la Charte prévoit clairement les organes de la transition, leurs attributions et leur composition respective. En effet, aux termes de l’article 36 de ladite Charte, les organes de la transition sont entre autres : le CNRD, le Président de la transition, le Gouvernement de la transition et le Conseil National de la Transition (CNT).

 Le CNRD

À l’image d’un Conseil d’Administration d’une Société Anonyme, le CNRD est l’organe central de définition et d’orientation stratégique de la politique du pays. Il est présidé par le Président de la Transition et qui est garant de la sécurité, de la cohésion nationale, de la stabilité et de la paix. Le CNRD est composé, selon le dernier alinéa in fine de l’article 37 de la Charte, des forces de défense et de sécurité de la République de Guinée (les éléments de l’Armée, de la Gendarmerie, de la Police Nationale, de la Douane et du Corps des Conservateurs de la Nature). Cette composition nous semble vague et prête à confusion. Pour une question de responsabilité devant le peuple et de cohérence, le CNRD devrait dévoiler la liste de ses membres.

En outre, à notre avis, l’extension de la composition du CNRD à toutes les forces de défense et de sécurité de la République de Guinée peut avoir une double explication. D’une part, les auteurs de l’acte du 5 septembre 2021 cherchent à légitimer le coup de force en incluant tous les éléments des forces de défense et de sécurité. D’autre part, on pourrait être tenté de penser que cette extension à tous les éléments des forces de défense et de sécurité est sans nul doute une astuce pour minimiser l’efficacité des sanctions prononcées par la CEDEAO contre les membres de la junte. Ne dit-on pas qu’un mal commun n’est pas un mal. Dès lors, l’application des sanctions de la CEDEAO contre la junte telle que : le gel des avoirs, l’interdiction de voyage se trouve simplement compromise, même si ça ne change en rien lesdites sanctions qui demeurent intactes.

  Le Président de la Transition

Les dispositions de la Charte consacrées au Président nous enseignent que le Président du CNRD ne porte pas le titre Président de la République contrairement à l’ordonnance du CNRD qui lui a attribué ce titre.

Cependant, nous pensons que le titre Président de la République pouvait être maintenue dans la Charte étant entendu que l’article 3 de la Charte précise clairement que la Guinée est une République unitaire et indivisible. Mieux, pendant cette période transitoire, le Président du CNRD est celui qui préside les destinées de la Guinée.

En tant que Président de la transition et suivant les dispositions des articles 38 à 44 de la Charte, il bénéficie de toutes les prérogatives d’un Chef d’État notamment la détermination de la politique de la Nation, disposition du pouvoir règlementaire entre autres…

Par ailleurs, l’article 46 de la Charte interdit au Président de la transition de faire acte de candidature aux élections locales (communale et communautaire) et nationales (présidentielle et législative).

Pour insister sur l’importance de cette disposition, les rédacteurs de la Charte l’on rendue intangible c’est-à-dire insusceptible de toute révision. Dès lors, si le président de la transition souhaite faire acte de candidature à l’une de ces élections, il devra démissionner de sa fonction de Président de la transition, de sa qualité de membre du CNRD voire même démissionner dans les rangs des forces de défense et de sécurité étant entendu que tous les éléments desdites forces de défense et de sécurité sont membres de droit du CNRD en application de l’article 37 de la charte de transition.

Pour éviter un tel scénario, la Charte devrait prévoir que toute personne ayant appartenu au CNRD est également inéligible.

  Le Gouvernement de la transition
Aux termes de l’article 48 de la Charte, le gouvernement de la transition est composé d’un premier ministre et des ministres tous nommés par décret du président de la transition qui peut les révoquer.

Tout comme les membres du CNRD, les ministres du gouvernement de la transition ne peuvent faire acte de candidature aux élections locales et celles nationales qui seront organisées pour marquer la fin de la transition.
L’article 55 de la Charte qui prévoit cette interdiction est rendue intangible, c’est-à-dire insusceptible de révision pendant toute la durée de la transition.

En terme de prérogatives, le gouvernement de la transition à sa tête le Premier ministre exécute la politique gouvernementale pendant cette période transitoire, assure l’exécution des lois et des règlements et veille à l’application des décisions de justice.

Contrairement au Premier ministre pour la nomination duquel les rédacteurs de la Charte ont défini des critères précis comme la compétence et la probité morale, aucun critère, par contre, n’a été défini quant au choix des ministres. Ce qui laisse un boulevard au Président de la transition de nommer qui il veut à la place qu’il veut. Ce qui n’exclut pas également, en tout cas selon les dispositions de la Charte, que les anciens dignitaires du régime déchu soient nommés. Ce qui nous semble très peu plausible si on s’en tient au discours tenu par le Président du CNDR devant des organisations de la jeunesse lors des consultations au palais du peuple selon lequel, Il a précisé qu’« il n’y aura pas de recyclage » même si par ailleurs, aucune définition du terme recyclage n’a été donnée par son auteur.
 Le Conseil National de la Transition (CNT)
Aux termes de l’article 56 de la Charte, le CNT est l’organe législatif de la transition à l’image de l’Assemblée nationale dans une période normale.

Contrairement aux députés d’une Assemblée nationale qui sont des élus du peuple, les conseillers nationaux sont nommés par décret du Président de la transition sur proposition, selon l’article 60 de la Charte, des forces vives de la nation.

En tout état de cause et conformément à cet article 60, la désignation des membres de chaque entité doit prendre en compte toutes les diversités et être composée d’au moins 30% de femmes.

Le dernier alinéa de l’article 60 de la Charte interdit la désignation des membres du gouvernement déchu et ceux des institutions dissoutes à la date du 5 septembre 2021 comme conseillers nationaux.

Une interprétation littérale de cette disposition permet de conclure que les membres de l’ancien parti au pouvoir en l’occurrence le RPG et ses alliés qui n’étaient ni membres du gouvernement déchu ni membres des institutions dissoutes par le CNRD, peuvent bel et bien postuler.

Par ailleurs, il ressort des dispositions de l’article 65 de la Charte que les conseillers nationaux ne peuvent être candidats ni aux élections nationales ni à celles locales organisées pour marquer la fin de la transition.
Curieusement, l’alinéa 1er de cette disposition ne prévoit des incompatibilités de la qualité de membre du CNT avec tout autre mandat ou responsabilité publique ou privée pendant la transition que pour la fonction de Président, de Vice-président et de membres du Bureau du CNT. Ce qui signifie que les autres conseillers ne sont pas frappés par l’incompatibilité dans la mesure où celle-ci n’est pas prescrite. C’est la raison selon laquelle « il n’y a pas d’incompatibilité sans texte ».

Enfin, il convient de relever que les membres du CNT bénéficient d’une immunité parlementaire qui les met à l’abri de toute poursuite pour les opinions ou votes émis dans l’exercice de leur fonction. Toutefois, en cas de crime ou délit flagrant ils peuvent être poursuivis à la condition que l’immunité parlementaire soit levée par le Conseil National de la Transition.

Dans un second temps, la Charte prévoit en son article 2 l’élaboration d’une nouvelle constitution et son adoption par voie référendaire.

A propos, il faut d’abord noter qu’il ressort des dispositions combinées des articles 76 et 79 de la Charte, que les compétences de la Cour constitutionnelle dissoute sont transférées à la Cour suprême. A ce titre, il appartient à la haute juridiction judiciaire, pendant cette période de Transition, de vérifier la conformité des lois, des accords et traités internationaux à la Charte. Il en est de même de la prestation de serment du Président de la Transition, du contrôle de la régularité des élections nationales etc..

II- Des inquiétudes à relever

Bien que la Charte soit riche en termes d’enseignements, force est de reconnaitre que certaines dispositions et/ou le silence de la Charte sur certaines questions peuvent être sources d’inquiétudes légitimes et de difficultés non négligeables dans la mise en œuvre de certaines actions.

A titre illustratif, l’article 77 de la Charte prévoit que la durée de la transition sera fixée d’un commun accord entre les forces vives de la nation et le CNRD. Cette disposition ouvre une brèche à toute sorte de velléité quand on sait que chaque acteur de la transition a son propre agenda qui n’est pas forcément celui de la nation. Ainsi, les partis politiques qui s’estimeront mieux préparés sur le terrain voudront une transition plus courte, pendant que d’autres moins préparés voudront gagner du temps. La même inquiétude concerne les membres du CNT, du gouvernement et du CNT qui continueront à bénéficier des privilèges tant que durera la transition. Nous pensons que la durée de la transition devrait être prévue dans la Charte.

En tout état de cause, l’article 77 de la Charte consacré à la durée de la transition n’est pas une disposition intangible, donc susceptible de révision. Il est donc capitale que cette révision intervienne dans les plus brefs délais pour que tous les acteurs soient situés sur le timing de la transition.

En outre, l’article 60 de la Charte prévoyant la composition du CNT à 81 membres peut être source de problème. A titre illustratif, le texte prévoit que 15 membres du CNT doivent être issus des partis politiques, pour qui connait le nombre de partis politiques en Guinée, on se demande à juste titre sur quels critères ces partis vont désigner leur (s) représentant (s).
Il en est de même des organes de presse, des faitières des organisations de la société civile, des centrales syndicales déjà divisées, des structures de jeunes etc…

Pour conclure, alors que le CNRD manifeste sa volonté de faire de la lutte contre la corruption, contre l’enrichissement illicite et la récupération des biens entre autres son cheval de bataille, il se trouve que la Charte est, elle, muette sur la mise en place des institutions comme la Haute Cour de Justice qui est la juridiction compétente pour juger les anciens dignitaires du régime déchu si jamais on les reproche quelque chose. A propos, il convient de faire remarquer qu’avec cette Charte, il sera difficile de mettre en œuvre des poursuites contre les anciens membres du gouvernement déchu.

Une autre problématique est la non prévision dans la Charte de l’opération de déclaration des biens du Président de la Transition, des membres du gouvernement et même ceux des membres du CNRD.

Nous espérons que ces inquiétudes soient satisfaites pour une transition inclusive et apaisée.

 

Me Almamy Samory Traoré

Membre de la Cellule de Communication du PEDN