Le double scrutin cataclysmal du 22 mars 2020 a encore plongé la Guinée dans le musée des crises politiques, outre le déroulement chaotique des élections, la constitution qui en est issue, a perdu sa couronne ;
-Monsieur le Président de la République, se sachant inéligible, parce que la constitution de 2010 n’autorise que deux (2) mandats, a cru devoir élaborer une nouvelle, pour se pérenniser au pouvoir ;
En tout cas, les motivations des initiateurs ne sont aucunement rattachables aux préoccupations de l’amélioration du fonctionnement des institutions ou au progrès de l’État de droit, sinon que la vocation de conservation du pouvoir ;
En dépit de l’enjeu majeur des manifestations de rue, le Ministre d’État garde des sceaux, Ministre de la Justice, a fait publier au journal officiel de la République de Guinée en janvier 2020, le projet de constitution ;
Ce projet de constitution déconsolidant et en recul démocratique, intervient à quelques mois de la présidentielle d’octobre 2020 juste pour modifier un aspect inédit du mode d’élection du Président de la République ;
-En effet, ce projet s’est révélé le jour du référendum, à la surprise générale, en ce qu’il n’a été ni vulgarisé, ni discuté par la classe politique et la société civile ;
-Les initiateurs n’ont pas cru, vue l’urgence, recueillir l’opinion des Guinéens ;
Ce texte, au demeurant inacceptable et irrecevable dans le contexte politique et démocratique Guinéen, à travers son modus operandi, ne pouvait bénéficier de l’assentiment et le respect des Guinéens ;
-Le caractère non participatif, non inclusif, non consensuel du projet a consacré la victoire du Oui proclamé par la cour constitutionnelle en son audience du 03 avril 2020 ;
Pourtant le 14 avril 2020, c’est une autre constitution, outre que celle soumise au référendum du 22 mars 2020, qui a été promulguée et publiée au journal Officiel de la République de Guinée.
Des effets pervers de l’adoption d’une constitution avortée
Il convient de faire observer que le tableau comparatif des deux (2) constitutions ressort que :
Le projet publié en Janvier 2020 au Journal Officiel de la République de Guinée, soumis au peuple le 22 mars 2020 par voie référendaire, est celui qui constitue le texte sacré et dépositaire de la parole du souverain (le peuple) et du contrat social ;
La Constitution promulguée par décret du 06 avril 2020 publiée le 14 avril 2020 n’est pas votée par le peuple ;
Par ailleurs, c’est cette constitution adoptée par le peuple qui a été manipulée, délestée et charcutée en ses articles 13, 17, 31 Al 2, 37 Al 3, 39, 42, 43 Al 2 et 3, 47 Al 1, 52 Al 3, 68 Al 1, 71, 76, 77, 83, 84, 90, 106, 107 Al 3, 119 Al 4 et 5, 120 et 132 ;
En l’espèce, cette altération de la vérité, constitutive de faux et usage de faux en écriture, a physiquement et intellectuellement falsifié les 21 articles précités pour consacrer la « Constitution » promulguée par décret D/2020/073/PRG/SGG du 06 avril 2020 et publié au Journal Officiel du 14 avril 2020 ;
Toutefois, il faut préciser que la « Constitution » promulguée par décret haut cité n’est pas celle soumise par voie référendaire du 22 mars 2020 ;
La violation de cette contrainte procédurale enlève à cette constitution toute valeur juridique opposable au Peuple ;
Il n’apparait pas sans intérêt de relever que la tragédie de la crise préélectorale et électorale du 22 mars 2020 ne peut entraîner qu’une théâtralisation constitutionnelle ;
Ce faisant, les effets pervers de l’adoption d’une constitution avortée ont abouti à l’existence de deux (2) textes, le premier soumis au souverain mais non promulgué et non publié, objet de l’arrêt de la cour constitutionnelle ;
-Le second promulgué et publié mais non soumis au souverain dépositaire de la parole du peuple ; Malheureusement, la manipulation du processus électoral et les conditions d’éligibilité font que la constitution guinéenne ne devient plus un texte suprême, loi des lois, mais un texte constitutionnel banal, ordinaire à la disposition d’intérêts politiques momentanés, au détriment du droit ;
Mais Rousseau disait que « L’arbitraire politique ne peut être source des lois » dès lors, la seule constitution en vigueur en Guinée est celle de 2010.
Sur le parrainage et l’allongement déraisonnable de la durée du mandat Présidentiel
Critère d’éligibilité introduit par le texte falsifié en son article 42, le parrainage est un système de filtrage permettant aux seuls candidats « méritants » de se présenter devant les électeurs. Peut permettre de limiter le nombre pléthorique de candidats à l’élection présidentielle ;
-Réduire le coût des élections
-Réduire le temps de vote
Ce parrainage de citoyen ou d’électeurs, si on n’y prend pas garde risque d’être une foire aux enchères, car c’est celui qui a le plus de ressources qui l’emportera, alors seuls les riches gouverneront ;
Cependant, ce qui cristallise les opérations électorales, c’est les modalités pratiques de mise en œuvre du parrainage, (la fiabilité du fichier électoral, la révision des listes) pour limiter le nombre de candidature fantaisiste ;
Pour ce qui est de l’allongement déraisonnable de la durée des mandats, de l’article 40, avec l’institution d’un mandat de six (6) ans, les promoteurs ont mis fin au quinquennat qui assurait une harmonie avec le mandat des députés ;
-L’instrumentalisation de la constitution comme moyen de conserver le pouvoir est regardée comme étant une déconsolidation de la démocratie ;
C’est pourquoi, la rupture de la démocratie par la falsification des constitutions constitue une violation manifeste du protocole CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, déclaration universelle des droits de l’homme (article 21 et du pacte international relatif aux droits civils et politiques) (article 25) ;
Ces instruments juridiques, par leurs principes et valeurs, consacrent des sanctions pouvant être prises par la conférence des chefs d’État et de gouvernement ;
En l’espèce, nous osons croire que le chef de l’état fera montre d’une ouverture d’esprit patriotique pour opérer le retrait pur et simple de ces deux (2) textes encombrants pour le respect de ses engagements internationaux.

Maître Saliou DANFAKHA
Avocat à la cour, Président des Opérations électorales du PEDN