ĶDans notre précédent article sur le lancement de l’éco en 2020 (https://mosaiqueguinee.com/lancement-de-leco-en-2020-realisme-ou-reorientation-par-mohamed-cisse-episode-1/ ), il a été question du bref historique sur la problématique d’intégration monétaire partant de l’union allemande avec 500 États à l’union scandinave qui a pris fin avec la première guerre mondiale (1873-1914), des types de zone monétaire, des avantages et coûts liés à l’intégration monétaire et des critères de convergence macroéconomiques de premier et de second ordre.
Depuis cette contribution, beaucoup de monnaies nationales ont circulé à travers les planches des banques et le débat est devenu de plus en plus populaire voir politique. Lors de la visite du Président français Emmanuel Macron le 21 Décembre 2019, le Président ivoirien Alassane Dramane Ouattara a annoncé le lancement de l’ECO par la zone UEMOA avec l’arrimage en euro et l’élimination du dépôt des réserves de change auprès de la banque de France qui est le pilier français de l’eurosystème. L’opposition des pays non membres de l’UEMOA n’a pas tardé avec des accusations tous azimuts
Faudrait-il préciser que cette problématique concerne essentiellement quinze (15) pays francophones de l’Afrique regroupés en trois zones :
la zone UEMOA composée de huit pays : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo
la zone CEMAC composée de six pays : Cameroun, République Centrafricaine, République du Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad.
La zone des Iles Comores qui est un pays.
Conformément au communiqué final en son point (D), de la cinquante-neuvième (59e ) session ordinaire de la conférence des Chefs d’État et de Gouvernement du 19 Juin 2021 à Accra, République du Ghana, le cap a été remis sur 2027 comme année de lancement de l’ECO en dissociation avec l’arrimage sur l’Euro par le biais de la France. Les initiatives de réflexion sont de plus en plus prises au sein des centres universitaires, des médias mais aussi dans des cercles politiques.
Si la nouvelle du lancement de l’Eco avec l’amendement des engagements sur le FCFA a été reçue par des africains comme un danger pour ces États, l’on est fondé de droit de se poser la question de savoir que reproche-t-on au Franc CFA ?
Beaucoup de scientifiques économistes et chercheurs africains se sont exprimés sur la question avec des références et exemples types. Bien que simplifié pour la compréhension de tous, comme toute démarche scientifique, les simulations qui suivent constituent la synthèse de ces maux, reprochés à un système qualifié de système colonial sous l’angle historique et politique, et système biaisé et minimal (ou relatif ) du point de vue économique. Tout en saluant de passage tous ces intellectuels et scientifiques africains qui se sont exprimés sur la question, non pas contre la France, mais pour les intérêts de l’Afrique, nous nous réserverons le droit de ne pas citer au risque d’oublier l’un des valeureux.
En réalité, sur quoi repose cette coopération monétaire entre la France et des États africains ? Selon la banque de France, deux principes fondamentaux guident cette collaboration. Il s’agit de :
La fixité du change avec l’euro, avec une parité maintenue à 1 euro = 655,957 francs CFA (XAF/XOF) et 1 euro = 491,968 francs comoriens (KMF). Cet ancrage a permis aux pays de l’UEMOA, de la CEMAC et aux Comores de connaître depuis plusieurs décennies une inflation très sensiblement inférieure à celles des autres pays d’Afrique subsaharienne.
La garantie de convertibilité inconditionnelle et illimitée offerte par le Trésor français, sous forme d’avance aux banques centrales, en cas d’épuisement des réserves de change. Ce filet de sécurité financière assure la crédibilité de l’ancrage des monnaies sur l’euro et constitue une protection efficace contre les chocs sur la balance des paiements.
La garantie de la convertibilité implique le dépôt des recettes d’exportation à la banque de France à une proportion qui est allée de 100% à 50% et l’information sur la renonciation au dépôt est porteuse de zone d’ombre malgré l’annonce par l’AFP en Avril 2021 de l’entame des transferts aux États concernés de cinq (05) milliards d’euros de réserves de changes. Il était donc question de verser :
100% des réserves d’exportation à la France jusqu’en 1973
65% des réserves d’exportation jusqu’en 2005
50% des réserves d’exportation de 2005 à 2020 et
0% pour des conditions non encore élucidées dans l’accord additionnel de 2019.
A préciser que le poste de gouverneur de la BCEAO n’a été rétrocédé qu’en 1974.
Dans une démarche qui se veut pédagogique, le présent article s’attèlera sur les points relatifs à l’administration de l’institution de la banque centrale, la perte des recettes d’exportation venant des pays dont les transactions sont libellées en dollar américain, de l’augmentation de la dette libellée en dollar américain et du décalage entre l’économie réelle et la monnaie.
De l’administration de l’institution de la banque centrale
Les banques centrales sont dotées d’un conseil d’administration qui se prononce sur les orientations stratégiques et opérationnelles du Gouverneur et son équipe. Dans un conseil d’administration, la disposition des deux tiers donne totale liberté de décision même si les un tiers seraient contre.
Dans le Conseil d’Administration de la banque centrale des Iles Comores, la France dispose de la moitié des huit membres au plus désignée par le gouvernement français (article 34 de l’accord franco-comorien du 23 novembre 1979 fixant les statuts de la banque centrale des Comores). Ce qui signifie que la politique monétaire de ce pays est co-décidée avec la France.
Dans le Conseil d’Administration de la CEMAC, la France fournit deux sur les quatorze (14) membres soit le même nombre que chaque pays membre de l’union. Les six pays décident de leur politique monétaire avec la participation de la puissance coloniale. Pour qu’une décision soit prise, il faut au moins la présence d’un représentant d’un pays ou de la France.
La France a une place dans le conseil d’administration (CA) de la BCEAO; comme l’indique l’organigramme affiché par la banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) : le Gouverneur de la Banque Centrale, un membre nommé par chacun des Gouvernements des États membres de l’UMOA, un membre nommé par l’Etat assurant la garantie de la convertibilité de la monnaie commune. A ce niveau également, elle fournit le même nombre que les États membres de l’union.
Si la France n’est pas, en terme numérique, détenteur du minimum bloquant dans la CEMAC et dans l’UEMOA, elle a disposé des réserves de change depuis l’avant indépendance de ces pays. Ce qui va sans dire que son opposition à une politique monétaire est obligatoirement à prendre en compte. Au-delà de la souveraineté monétaire perdue vis-à-vis des autres États membres africains, les États la perdent également vis-à-vis du colonisateur qui siège dans le CA de l’institution monétaire.
De la perte des recettes d’exportation venant des pays dont les transactions sont libellées en dollar américain
Avant de procéder aux impacts commerciaux, il est utile de présenter cet extrait du rapport de la commission des finances du Sénat français sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine :
« Originellement de 100 %, puis abaissé à 65 % en 1973, le minimum des avoirs extérieurs nets que la BCEAO doit déposer auprès du Trésor français a une nouvelle fois été abaissé en 2005, passant à 50 %… Néanmoins, comme l’indiquent les données figurant dans le compte général de l’État ainsi que la Banque de France et la Direction Générale du Trésor, il arrive fréquemment que les dépôts de la BCEAO excèdent ce seuil minimal. Ainsi, alors que le FMI estimait que le volume des réserves de l’UMOA était de près de 14,7 milliards d’euros à la fin de l’année 2019, la BCEAO disposait d’environ neuf milliards d’euros sur son compte d’opérations. » Rapport n° 289 (2020-2021) de M. Jérôme BASCHER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 20 janvier 2021. Qu’est ce qui pourrait expliquer ce Gap comptable ? Seule la France et l’UEMOA peuvent édifier.
Par contre, admettons que le taux de change entre Euro (EUR) et Dollar (USD) soit l’unité (EUR/USD=1,0000) dans une parité fixe Euro et FCFA(XOF) de 655,957. Lorsqu’un pays de la zone CFA exporte des marchandises à hauteur d’un (01) million USD, au nom de la convertibilité assurée par la France, la banque de France convertit ce montant d’un million USD en un million EUR. Ainsi, 500 mille EURO sont mis à la disposition de la BCEAO et les 500 mille EURO restent avec la France au nom de la convertibilité assurée et de la parité fixe. Jusque-là, il n’y a de « perte » que le montant resté à la Banque de France qui pouvait renforcer les capacités de la BCEAO dans la gestion de la politique monétaire.
Considérons enfin que le dollar s’est déprécié par rapport à l’euro (EUR 1 = USD 1,1000). Un million d’exportation en USD devient en EUR 900 000 EUR, par simplification. Au lieu de 500 000 EUR, c’est 450 000 qui sont mis à la disposition de la BCEAO au compte du pays concerné avec 50 000 EUR de pertes sur exportation liées au fluctuation entre les deux monnaies (EUR et USD).
De l’augmentation de la dette libellée en dollar américain
Dans le même jeu de change entre le dollar américain et l’euro (USD/EUR = 1,1000), analysons l’effet sur les dettes libellées en USD des pays disposant le Franc CFA. Pour un pays endetté à hauteur d’un million de dollars américains, et la Banque de France assurant la conversion des paiements de la dette, le pays voit sa dette alourdie à chaque appréciation du dollar par rapport à l’euro.
Si le pays est disposé à payer le montant, il revient à la banque de France d’en assurer la conversion en dollars. Un dollar étant égal à 1,1000 euro, au lieu de payer un (01) million d’euro pour avoir un million de dollar, le pays déboursera un million cent mille euro pour avoir un million de dollar. Il supporte ainsi 100 000 euro de plus à cause de la fluctuation entre les deux monnaies qui ne devrait pas le concerner dans une opération de conversion directe.
Du décalage entre l’économie réelle et la monnaie
Il est scientifiquement admis que c’est la production qui fait la valeur de la monnaie. Un précis de l’économie monétaire que les étudiants en économie pourrait expliquer. Cela voudrait dire que plus le pays produit, plus il exporte. Les biens et services exportés sont payés en devise (pour la relation hors zone monétaire) et l’entrée de devise renforce relativement la demande en monnaie locale et son appréciation par rapport à la devise concernée, toute chose étant égale par ailleurs.
Avec la parité fixe à l’Euro, les économies réelles des pays disposant le FCFA peuvent être en inadéquation avec la valeur de la monnaie. Soit le pays devrait avoir une monnaie plus forte (avantageux pour les importateurs) soit une monnaie moins forte (avantageux pour les exportateurs). Dans ce cas de figure, l’unique moyen d’augmenter ou diminuer la valeur de la monnaie est la prise de décision politique de réévaluation ou de dévaluation. Cette dernière est tentée par la France depuis des années sans adhésion des pays membres de l’UEMOA, compte tenu de l’expérience amère de la dernière dévaluation à 50% du 12 Janvier 1994.
Au su des points susmentionnés et non exclusivement, la nouvelle génération africaine s’active de plus en plus en faveur d’une monnaie d’intégration dont les fondements seraient l’indépendance de la zone vis-à-vis du reste du monde avec une ouverture à la collaboration gagnant-gagnant avec les institutions monétaires étrangères.
Au-delà de la dimension politique du sujet, il nous paraît essentiel de faire des contributions d’ordre scientifique, qui n’excluent naturellement pas les contradictions, afin de mieux outiller les Peuples qui sont impactés par les décisions monétaires quel qu’en soit le type ou la forme d’action.
D’autres dimensions méritent d’être analysées notamment la nécessité d’une parité fixe pour les pays concernés et de la convertibilité sous format CFA.

Mohamed CISSE
Enseignant chercheur à l’UGLCS
momci2004@gmail.com