Les enquêtes croisées menées par différents médias guinéens contre la corruption de certains membres du gouvernement rappellent les débuts de l’opération « Mani pulite » (« Mains propres » en français) en Italie dans les années 1990 visant des personnalités du monde politique et économique italien. À la différence de la Guinée où la presse précède la justice, en Italie l’opération fut déclenchée et menée par la justice.

La presse guinéenne est en train de vivre à travers cette dénonciation spectaculaire de la corruption dans le pays son âge d’or. En lanceurs d’alerte, les journalistes expliquent, chiffres et faits à l’appui, les stratagèmes mis en œuvre par une ministre de la République, Madame Zenab Dramé pour détourner des milliards de francs guinéens, en complicité très certainement avec d’autres hauts placés dans l’administration publique. Des accusations qui tombent à un moment où les guinéens, dans leur grande majorité, se plaignent de leurs conditions de vie précaires et où le président de la République jure de faire de la lutte contre la corruption, son plus grand champ de bataille.

Face à cette pluie de révélations, le gouvernement dans une indifférence totale oppose son bouclier de solidarité sans chercher à comprendre quoi que ce soit. Au lieu de se poser des questions, il s’attaque plutôt aux journalistes lanceurs d’alerte, qu’il tente vainement de faire passer pour des colporteurs de mensonges. Oubliant que la presse, en dénonçant les dérives des gouvernants, est pleinement dans son rôle de « chien de garde » de la démocratie et de protectrice de l’intérêt général.

La Guinée, ce formidable pays aux richesses incroyables n’arrive toujours pas, en plus de 60 ans d’indépendance, à convenablement fournir de l’eau, de l’électricité, de la nourriture de qualité, des soins adéquats, des routes praticables et autres facilités basiques à sa population, une des plus résilientes du monde. Toutes ces carences et contre-performances sont le fait des gouvernants successifs qui ne se sont jamais préoccupés de leurs gouvernés. Ils se sont plutôt acharnés à construire des murs infranchissables entre leur monde d’opulence et celui de la pauvreté de la grande majorité de la population. La lutte contre la corruption vise justement à faire tomber ces murs et à offrir aux uns et aux autres les mêmes opportunités, les mêmes chances dans ce pays qui est la propriété collective de tous.

Lutter contre la corruption des gouvernants, c’est maintenir sur eux une constante pression les obligeant à travailler non pas pour leurs propres intérêts égoïstes mais pour l’intérêt de la nation dans son ensemble. C’est aussi poser les premiers jalons d’un gouvernement responsable qui doit rendre compte de la gestion qu’il fait du bien collectif. Sans cette responsabilité, c’est le lien de confiance qui doit unir les gouvernants aux gouvernés qui risque de s’effondrer. La disparition de ce lien signifie également la dissolution du pacte républicain. Le premier à prendre conscience de ces dangers qui guettent la nation est le président de la République lui-même.

La situation de corruption que vit quelques membres de son gouvernement doit l’amener à hausser le ton, à rassurer sa population et à prendre des mesures énergiques contre ceux et celles qui s’approprient des ressources publiques. La décision du président de la République obligeant les hauts cadres de l’administration de déclarer leurs patrimoines est un pas décisif dans la bonne direction. Mais cette décision doit être complétée par d’autres mesures tout aussi importantes comme l’obligation pour chaque agent de l’État de rendre compte lorsqu’il existe de sérieuses accusations de détournement de fonds publics à son encontre, soit devant une commission d’enquête indépendante, soit devant la Justice.

Le président de la République doit doter les organismes publics de lutte contre la corruption ainsi que la Justice dans son ensemble de moyens adéquats dans le cadre de leurs opérations souvent risquées. Il doit également fournir à la presse et aux autres lanceurs d’alerte les conditions les plus propices pour l’exercice de leurs fonctions. À l’instar de l’opération « Mains propres », les révélations de corruption faites par la presse guinéenne doivent déboucher sur une véritable révolution judiciaire. Elles doivent permettre de dénicher les personnalités politiques corrompues du parti au pouvoir aux moyens d’enquêtes sérieuses confiées à des magistrats incorruptibles, au point qu’une génération politique entière laisse la place à une autre, comme ce fut le cas en Italie.

Plus près de nous en Afrique de l’Est, grâce au leadership du président Paul Kagame, le Bureau rwandais des enquêtes (RIB) annonçait récemment l’arrestation d’au moins 4000 personnes depuis 2018 suite à des enquêtes sur des actes criminels liés à la corruption. Interrogé sur cette affaire le ministre de la Justice du Rwanda, Johnston Busingye s’est exprimé en ces termes : « La culture et la mentalité des Rwandais étaient de ne pas ressentir le besoin de payer quand ils devaient de l’argent au gouvernement. Nous avons alors décidé que cela ne pouvait plus continuer et avons compilé une liste de tous ceux qui doivent de l’argent au gouvernement, le cas le plus ancien que nous ayons date de 2000 ». Ceci est un bon exemple d’action pour les autorités guinéennes s’ils veulent lutter efficacement contre ce fléau.

Malheureusement, le 9 décembre dernier qui marquait pourtant la journée internationale de lutte contre la corruption est passée sans faire d’échos en Guinée. Treize jours après le déclanchement de la scabreuse « affaire des 200 milliards GNF détournés par une ministre », aucune action n’est encore officiellement prise par le président de la République concernant cette affaire pour rassurer les guinéens. Or, ce jour du 9 décembre aurait pu être pour luiune occasion en or pour annoncer des mesures courageuses et révolutionnaires face à ce phénomène de corruption que le secrétaire général des Nations unies António Guterres qualifie d’« acte criminel et immoral, de trahison ultime de la confiance publique. »

La guerre contre la corruption ne se gagne pas par la seule presse. Elle se gagne par un combat collectif de tous les jours, mené conjointement par une presse responsable, une Justice indépendante, une société civile active et un président de la République déterminé.

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