Depuis plus de deux ans, Guineenews© alertait sur la gestion opaque qui entoure certains organismes publics dont beaucoup sont devenus une vache laitière pour une catégorie de personnes se croyant tout permis en Guinée en termes d’abus des fonds publics. C’est le cas du fonds d’investissement minier (FIM) dont la mission selon l’article 24 de son fonctionnement est de financer les projets de recherche géologique et minière, des études de promotion et de confection de brochures promotionnelles, l’organisation des expositions, les participations minières, soutenir l’exposition artisanale des matières précieuses, améliorer la formation des services techniques, sponsoriser des voyages d’études et de promotion minière, organiser des séminaires et autres subventions liées à la recherche. Crédit photo : page Facebook du FIM.

La loi L/2017/075 AN du 30 décembre 2016, portant gouvernance financière des sociétés et Établissements publics en République de Guinée est très claire sur leur gestion et le système de contrôle qu’il leur faut pour moraliser les recettes publiques.

Selon les documents officiels, les revenus miniers sont repartis comme suit : 80% vont dans le budget national de développement, 15% vers les collectivités et 5% dans le fonds d’investissement minier (FIM). Mais, nous rapportent les sources officielles, les 5% ne sont jamais payés au FIM pour des raisons non élucidées. Ainsi, ses revenus proviennent essentiellement de la taxe issue sur les permis d’exploration et d’exploitation et leur renouvellement.

En effet, comme vous allez le constater dans le relevé bancaire du FIM dont Guineenews© s’est procuré, pour la période du 1er janvier 2019 au 11 août 2020, plus de 34 milliards de francs guinéens ont été décaissés pour la plupart en espèce, en virement bancaire, représentation débit, crédit-cash (émettre un chèque pour payer les dettes d’une tierce personne), écriture de masse, émission de chèque pour des dépenses supposément douteuses qui n’ont rien à avoir avec la vocation du FIM. Le 1er janvier 2019, le solde du compte du FIM domicilié à la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) était de 37 milliards francs guinéens. Déjà, au 22 novembre 2019, il n’est resté que 7 milliards GNF avec d’énormes retraits en liquidité : parfois de 600 à 900 millions de francs guinéens par jour.  Nous ne prétendons pas dire que toutes les dépenses sont non conformes, mais avec les sorties massives en liquidité et des paiements répétitifs pour certaines prestations dont la nature et la destination sont inconnues laissent présager qu’il y a anguille sous roche.

Voir le relevé bancaire du fonds d’investissement minier du 1er janvier 2019 au 11 août 2020 

Le 14 janvier 2019, en une journée, plus de 800 millions GNF décaissés ;

Le 24 janvier 2019, plus de 1 milliard GNF ;

Le 5 février 2019, plus de 900 millions GNF ;

Le 1er mars 2019, plus de 1 milliard 500 millions ;

Le 4 mars 2019, plus 320 millions GNF ;

Le 6 mars 2019, plus de 2 milliards 700 millions GNF ;

Le 8 mars 2019, plus de 1 milliard 800 millions GNF ;

Le 29 mars 2019, plus de 1 milliard GNF ;

Le 16 avril 2019 retrait de plus de 521 millions GNF ;

Le 7 mai 2019, retrait de plus de 2 milliards 600 millions ;

Le 30 mai 2019, environ 3 milliards GNF ;

Le 4 juin 2019, plus de 3 milliards 500 millions GNF ;

Le 15 juillet 2019, plus de 1 milliard GNF ;

Le 19 juillet 2019, plus 891 millions GNF.

Votre quotidien électronique a concocté une petite vidéo pour vous permettre de comprendre l’ampleur de la gabegie financière présumée qui règnerait au FIM.

Cliquez 👉 ici pour voir la vidéo.

Dans le but de mieux comprendre comment explique-t-on les décaissements abusifs surtout en liquidité et autres paiements en crédit-cash, représentation débit ou écriture en masse à l’heure où la dématérialisation de la monnaie et la digitalisation fortement sont fortement recommandées, Guineenews© s’est approché de Ahmed Keita, l’ordonnateur délégué du FIM et chef de cabinet du ministère des mines. Très courtois, nous soulignons avoir été séduits par la facilité par laquelle il nous a abordés et orientés dans la quête de la vérité. Pour lui rendre la tâche facile, nous avons partagé avec lui le document en notre possession pour la fluidité de la communication.

« Le manuel de procédure explique la voie à suivre pour le décaissement des fonds, mais c’est le plan de financement annuel qui détermine les activités à financer. Le FIM a son administration, le cabinet et particulièrement moi ne sommes pas impliqués à l’interne. Ils sont mieux placés pour travailler avec votre représentant pour clarifier vos inquiétudes et j’ai donné des instructions à cet effet », a déclaré M. Keita.

« Sur la question de remboursement du prêt d’un individu, je ne vois pas ça sur le relevé et le FIM ne prête pas de l’argent à un individu. Je vous envoie alors le numéro du DG du FIM [Kabinet Dabo] pour que vous puissiez échanger avec lui. Le rôle du cabinet c’est de se rassurer que les dossiers orientés au FIM soient conformes aux attributions et au plan de financement. Le FIM a son administration qui peut valider ou rejeter les dossiers transmis par le cabinet conformément à sa procédure et son plan de financement », a-t-il affirmé, répondant à notre question à savoir pourquoi le FIM doit-il émettre un chèque pour rembourser le prêt d’un individu (crédit cash). Puisque de gros montants ont été payés en crédit-cash à des comptes dont on n’a pas été en mesure d’identifier.

Après deux rendez-vous reportés et dans le but d’avoir des explications de la direction générale du FIM sur la sortie de plus de 34 milliards en 18 mois, nous avons rencontré M. Kabinet Dabo ce lundi 28 décembre 2020 à son bureau. Il était accompagné par Amadou Magassouba et Mohamed Sako Touré, respectivement l’agent comptable et contrôleur financier du FIM.

Les trois responsables ont tous affirmé en chœur qu’il « n’y a jamais de paiement en espèce au FIM ». La procédure de paiement, selon eux, « est rigoureusement respectée ». Magassouba a rappelé que « depuis plusieurs années, le président Alpha Condé a interdit tout paiement en espèce d’un montant dépassant 500 mille francs guinéens ».  

Si ces trois cadres du FIM étaient au même niveau d’informations que Guineenews©, ils auraient facilement compris sur une liste non exhaustive que les montants ci-dessous ont tous été retirés en espèce du compte du FIM domicilié à la BCRG :

Le 23 janvier 2019, plus de 378 millions GNF retirés en espèce ;

Le 4 février 2019, plus de 478 millions GNF avaient été retirés en espèce du compte ; 

Le 28 mars 2019, retrait en espèce de plus de 159 millions GNF ;

Le 2 avril 2019, retrait en espèce de 382 millions GNF ;

Le 4 avril 2019, retrait en espèce de plus de 600 millions GNF ;

Le 9 avril 2019, retrait en espèce de 100 millions GNF ;

Le 4 mai 2019, retrait en espèce de plus de 377 millions GNF ;

Le 16 mai 2019, retrait en espèce de plus de 350 millions GNF ;

Le 29 mai, retrait de plus de 1 milliard 200 millions en une journée dont 377 millions en espèce .

« Ce sont des chèques non endossables qui sont émis au nom d’une personne morale, l’entreprise de prestation, ce, en suivant tout le circuit de paiement. Il n’y a que trois cas pour lesquels, on peut émettre un chèque au nom d’une personne physique. Il s’agit des salaires, des frais de mission et des évacuations sanitaires », a indiqué Magassouba.

Le 23 décembre 2019, deux opérations ont été faites sur le compte du FIM logé à la BCRG. La première sortie concerne 117 millions et la seconde 79 millions pour salaire de fin du mois, selon le relevé bancaire.

A ce sujet, les cadres du FIM affirment que leur structure emploie entre 55 et 60 cadres fonctionnaires et contractuels, qu’il faut payer mensuellement.  Et M. Dabo ajoute que « le compte à la BCRG est le seul compte que détient le FIM », alors que « des gens racontent qu’il a plusieurs comptes ». Mais si la masse salariale mensuelle du FIM est de 79 millions GNF par mois, qu’est-ce qui justifierait les sorties massives de fonds dont la nature et la destination sont inconnues puisque nous avons insisté d’avoir accès de l’état financier ou les rapports en vain ?

Le 28 janvier 2020, un retrait de 612 millions a été effectué en faveur de la société Camara Saran Prestation. Ce paiement selon l’agent comptable du FIM, a été fait pour la configuration du serveur du département des mines et de la géologie. Or, beaucoup d’autres paiements ont été faits à cette structure au même titre que l’entreprise TED. Mieux, AKM un expert en informatique spécialisé en réseau affirme que ce montant serait sur facturé.  « L’installation d’un bon serveur sans logiciels particuliers et son système d’exploitation Windows peut coûter entre 1000 et 3000 USD. A moins que ce soit un super calculateur ou un serveur avec beaucoup de logiciels, et même ça, ce ne devrait dépasser 10 mille dollars ou 15 mille dollars maximum. Je pense qu’ils ont fait la surfacturation », a-t-il affirmé sous anonymat.

« Le FIM n’a jamais émis de chèque à crédit-kash », ont insisté nos trois interlocuteurs. Cependant, contrairement à ce qu’ils disent, Guineenews© est en mesure de rappeler aux sieurs Dabo, Magassouba et Touré que les paiements ci-dessous ont été faits via crédit-kash :

Le 14 janvier 2019, un montant de 220 millions GNF via crédit-kash ; 

Le 5 décembre 2019, une somme de 110 millions GNF via crédit-kash. 

L’avis des spécialistes en système bancaire sur la nébuleuse

Toujours dans l’optique de comprendre cette nébuleuse, nous avons fait appel à deux experts indépendants du système bancaire. « Nous constatons avec regret que certains départements stratégiques de l’économie guinéenne refusent implacablement le progrès. En effet, l’ère du digital doit complètement pénétrer notre quotidien et nous permettre d’ajuster nos comportements professionnels afin d’embrasser au mieux les gains de productivité et d’efficacité qui vont en découler car synonymes de revenus financiers pour tout un chacun. Il est aujourd’hui fort aisé d’effectuer des opérations bancaires en ligne depuis un smartphone (téléphone intelligent, ndlr) et virer les fonds d’un point du globe à un autre de façon quasi instantanée sans éprouver le besoin de rencontrer le récipiendaire de ceux-ci. La plupart des transactions financières institutionnelles à fortiori gouvernementales se font pratiquement toutes par virement bancaire soit en devise locale soit en devises internationales ou devises dures comme le dollar, l’euro, la livre sterling ou encore le yuan chinois. De plus, toutes les institutions financières internationales sont soumises à des obligations de contrôles strictes de l’identité de leurs clients afin de réduire le risque de recyclage de l’argent sale et de financement du terrorisme. Dans ces conditions, comment comprendre que le FIM relevant du ministère des mines soumises aux règles de gestion des établissements publics, effectue 90% de ses opérations par retrait d’argent liquide de son compte domicilié à la BCRG ? La BCRG serait-elle devenue incapable de faire des virements et transferts électroniques au compte du FIM ? Pour contourner les règles internationales en matière de recyclage de l’argent quoi de plus facile que de fonctionner par retrait d’argent liquide et d’effectuer toutes les transactions dans un anonymat total sans justifications de la destination des fonds. A qui sont destinés tous ces retraits du compte GNF du FIM ? C’est bien la question », a déclaré le premier qui a strictement requis l’anonymat au regard de sa position actuelle en Guinée.

« Comment pouvons-nous tolérer un processus de retrait d’argent de cette envergure en espèces à des niveaux très élevés de l’État lorsqu’on sait que la circulation liquide de la monnaie entraîne une inflation ? Avons-nous sur place un processus de contrôle sur la traçabilité de l’objectif de ces retraits ? Avons-nous pensé également à créer un bureau de surintendant des institutions financières qui sera en charge de contrôler/vérifier ce genre de pratique afin d’éviter toute sorte de collusion ou de blanchiment d’argent ? Ces institutions de contrôles sont indispensables dans tout État sérieux et soucieux de la bonne gouvernance et sensible aux souffrances des populations les plus vulnérables. Gouverner autrement c’est aussi se doter de processus de contrôles automatisés assurant l’efficacité et l’efficience de la gestion de nos finances publiques. Conscient de notre retard actuel, il est donc impératif d’instaurer ces recommandations afin de construire une fondation robuste qui pourrait servir de base aux générations actuelles et futures », a, de son côté affirmé Macky Koulibaly, directeur régional de l’une des quatre plus grandes banques du Canada.

De ce qui précède, l’audit ou l’inspection générale des finances ou encore l’inspection générale d’État devrait être diligenté(e) pour démêler les chiffres, estiment les observateurs. Car, tout porterait à croire à cette allure que le fonds n’est plus celui d’investissement minier mais une caisse de dépenses somptuaires à ciel ouvert surtout que le département des mines a son propre budget de fonctionnement et d’investissement.

A l’image du FIM, la gestion de beaucoup d’autres organismes publics est très opaque en sorte que les bailleurs recommandent souvent à ce que les directions de ceux-ci soient confiées aux gestionnaires de haut niveau avec un contrat de performance pendant une période de trois ans, renouvelables une seule fois.

Une enquête réalisée par Youssouf Boundou Sylla avec la collaboration de Alhassane Bah pour Guineenews©.